Sept sur Sept
par le 27/03/25
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Les chiffres du GPS semblaient battre la cadence de son cœur. 21h49. Treize minutes. Douze. Elle n’arrivait plus à détourner les yeux de l’écran qui décomptait inlassablement. Chaque minute écoulée la rapprochait de ce moment où il lui faudrait franchir un seuil — pas seulement celui d’un bâtiment oublié du centre-ville lyonnais, mais celui de ses propres limites.

Le cuir de la banquette collait légèrement à l’arrière de ses cuisses nues sous la robe, la chaleur de son excitation trahie par les moiteurs successives qu’elle peinait à contenir. Ses jambes croisées n’étaient qu’un prétexte de plus pour dissimuler les tensions de son sexe vibrant à chaque cahot de la route. Le regard du chauffeur dans le rétro était une lame discrète : pas intrusive, mais tranchante, insistante. Était-ce son parfum, sa tenue, ou cette aura de fauve en cage prête à bondir qui l’intriguait tant ?

Il ne posait pas de question. C’était mieux ainsi.


Lorsque la voiture ralentit rue de la Martinière, le cœur d’Élise menaçait de s’échapper de sa cage thoracique. À travers la vitre, elle ne distinguait rien de particulier : quelques immeubles aux façades sombres, quelques graffitis ternis par le temps, des stores métalliques baissés dont certains semblaient ne pas avoir été ouverts depuis bien longtemps au regard de l’affichage sauvage dont ils étaient le support. Un lampadaire clignotait par intermittence, comme s’il hésitait lui aussi à témoigner de ce qui allait peut-être se jouer ici.

La voiture s’arrêta devant un porche noir, anonyme, sans enseigne. Rien qui n’indiquait la moindre vie. Rien, sauf peut-être cet interphone sans nom, d’un noir brillant presque suspect.

— Nous sommes arrivés, Madame.

Elle sursauta presque en entendant la voix grave du chauffeur. Le monde extérieur lui revenait d’un coup. Elle sortit du véhicule avec une lenteur tout en fébrilité, ses talons claquant sur le trottoir comme des coups de marteau. Une seconde. Elle inspira.

Elle ne regarda pas la voiture repartir. Elle ne voulait pas de témoin. Pas même de souvenir.


Il n’y avait qu’une fine lumière blanche autour de la touche “appel” de l’interphone. Ses doigts tremblaient légèrement. Elle appuya.

Rien. Silence. Mille doutes lui passèrent par la tête. Le VTC se serait-il trompé d’adresse ? A moins que ce carton d’invitation eut été finalement une blague… un piège pour l’éloigner de chez elle et la cambrioler ?

Mais un clic, presque sensuel dans sa sécheresse se fit entendre. La porte s’ouvrit lentement, comme poussée par une invisible volonté.

Un couloir. Sombre. Le parquet craquait à peine sous ses pas. Une musique feutrée, lointaine, à peine perceptible, lui parvenait par vagues. Un parfum d’ambre et de cuir flottait dans l’air, troublant, enveloppant. Élise avançait comme en transe. Elle mouillait de plus belle, ses tétons dardaient. Elle avait envie. Chaque pas était un renoncement. Chaque mètre, un abandon.

Elle atteignit un escalier. En contrebas, une lumière rougeoyante découpait la pénombre. Elle hésita juste un instant. Et descendit.


Au bas des marches, une double porte capitonnée. Rouge bordeaux. Luxe discret.

Elle avança la main, mais avant qu’elle ne touche la poignée, la porte s’ouvrit d’elle-même. De l’autre côté, une femme se tenait droite, élégante, dans une tenue aussi sobre que dérangeante : chemisier noir opaque jusqu’au col mais manifestement porté à même la peau, sans soutien-gorge, jupe fendue à la verticale, jusqu’au haut de la cuisse, escarpins impeccables. Son regard était perçant, mais dépourvu de jugement. Elle inclina à peine la tête.

— Mademoiselle Ménard. Vous êtes attendue.

Aucune surprise dans la voix. Comme si sa venue était une évidence. Comme si son désir avait une adresse depuis toujours.

La femme s’écarta pour la laisser entrer. Élise franchit le seuil. La porte se referma derrière elle presque sans bruit.

Elle était maintenant dedans.


Un vestibule feutré. Éclairage tamisé, presque en infrarouge. Un long rideau noir de velours fermait la perspective.

— Laissez-moi votre veste et votre téléphone, dit l’hôtesse, de manière courtoise mais assez directive. L’inconnue tendit la main, paume ouverte.

Élise obéit. Mécaniquement. Laisser son téléphone lui fit l’effet d’un vertige. Plus de GPS. Plus moyen d’appeler à l’aide. Plus de dehors.

— Vous êtes ici sous l’œil du Cercle. Vous n’avez plus rien à décider ce soir, sauf de franchir ou non ce rideau. Si vous le faites, vous vous engagez à obéir aux règles. À vous exposer. À vous soumettre. Pas à quelqu’un. Pas encore. Mais à l’expérience. Et à votre propre vérité.

La voix était douce, mais le ton n’invitait pas, là encore, à la négociation.

— Si vous entrez, on vous verra. Peut-être même on vous dénudera. On ne vous touchera pas. Pas ce soir. Mais on lira en vous. Et vous ne pourrez rien cacher.

Un silence.

Élise fixait le rideau noir. Elle déglutit. Elle sentit sa culotte collée à ses lèvres intimes, comme une injonction silencieuse.

Ses doigts effleurairent le tissu. Elle écarta le rideau.


Derrière, le monde bascula.

Une vaste salle, à l’éclairage bas et chaud, comme un théâtre sans scène. Au centre, un espace vide, cerclé de canapés de velours pourpre, de fauteuils profonds, de tables basses garnies de coupes de champagne. Des silhouettes élégantes y étaient installées. Certaines masquées, d’autres non. Toutes vêtues avec une sophistication sobre, mais évocatrice.

Et au centre, une femme.

Elle était nue. Nue et fière. Son visage n’exprimait aucune gêne d’être ainsi exposée. Debout, sur une estrade basse, éclairée par un halo de lumière orangée. Son corps était tatoué d’un seul mot, peint sur son ventre en lettres calligraphiées : Obéir.

Autour d’elle, deux hommes en noir. Aucun ne la touchait. Ils tournaient autour d’elle comme des prédateurs lents. L’un murmurait quelque chose à son oreille, l’autre la contournait lentement. Ils l’observaient, l’inspectait dans les moindres détails. Elle frémissait. Et tout le Cercle, silencieux, regardait.

Élise retint son souffle. Le contraste entre le raffinement de la salle et la tension animale, hautement sexuelle de la scène la bouleversa. Elle sentit ses jambes faiblir, s’appuya contre un mur.

Puis un frôlement sur son bras. La femme de l’entrée était revenue. Elle tendit une fine chaîne d’or, terminée par un anneau discret.

— Ceci est la marque des invitées. Il vous place sous l’observation du Cercle. On ne vous parlera pas. On ne vous touchera pas. Mais on vous verra. Et ce que vous offrirez, ils sauront le lire.

Elle attacha l’anneau autour du poignet d’Élise. Celui-ci était léger. Et pourtant, Élise sentit son poids symbolique la marquer au fer.


Elle avança dans la salle. Lentement. Le bruit de ses talons sur le parquet semblait résonner dans tout son être. Plusieurs regards se tournèrent vers elle. Aucune parole. Juste des yeux. Qui scrutaient. Qui jaugeaient. Qui l’envisageait.

Elle vit un homme assis dans un large fauteuil, masque vénitien noir sur le visage, qui leva une coupe en sa direction, presque imperceptiblement. Une femme agenouillée nue à ses pieds, le regard baissé. D’autres couples. Les femmes étaient plus ou moins dévêtues. D’autres configurations.

Elle n’avait plus de repères. Et pourtant, elle sentait son corps s’adapter. S’ouvrir. S’abandonner.

Élise était entrée dans un monde où le désir n’était plus murmure, mais langage. Où chaque geste, chaque posture était signifiant. Et elle allait devoir apprendre cette grammaire-là. Ou s’y perdre.

Elle s’avança encore.

Et sut que la nuit serait longue.

 Les autres épisodes : https://www.bdsm.fr/blog/tag/ombresdelob%C3%A9issance/

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DANDY83
J'adore ces textes (au demeurant bien écrits) qui impriment l'esprit, étreignent tout l'être de sentiments forts au point de se sentir acteur de ce que l'on lit!
J'aime 27/03/25
ymerwhite
J'aime beaucoup la façon dont vous faites monter la tension. Impatient de lire la suite. Bravo
J'aime 27/03/25